Titre seigneurial et patronyme noble.
« d’ESPALY, alias de FERRANHE » ou « de FERRANHE, alias d’ESPALY » ou simple « de FERRANHE », ce titre apparu dès le 13e siècle [3] ou peut-être seulement au début du 14e siècle (Ph. RAMONA), mérite, pour prendre sa juste place, d’être replacé dans un contexte historique que nous essaierons de rappeler sommairement.
Face à l’affaiblissement du pouvoir royal aux 9e et 10e siècles, incapables de s’opposer aux invasions des Vikings sur la côte normande et aux raids des Musulmans sur la côte méditerranéenne, les princes territoriaux (vassaux créés par Charlemagne) regroupent les comtés au 11e siècle pour se défendre et exercer le pouvoir, prenant le titre de duc ou marquis. Ils fondent ainsi des dynasties féodales, très vites héréditaires.
Ces grands féodaux sont conduits à attribuer des fiefs à leurs fidèles (notamment pour défendre les limites de territoire), lesquels s’émancipent à leur tour pour constituer des entités autonomes, s’appuyant sur le construction de châteaux privés aux 11e et 12e siècles. A partir de 1030, la puissance publique (impôts, justice, …) commence à être exercée par des châtelains dans le cadre d’une seigneurie rurale ou châtellenie. Celles-ci ont une rôle important dès le 12e siècle, point de départ d’une expansion durable avec défrichement et peuplement, amélioration des rendements agricoles, arrivée de nouvelles techniques (charrue attelée, moulin à eau, forges, …), christianisation et « paix de Dieu ».
Dans ce cadre, les d’ESPALY devaient être à la fin de la féodalité des seigneurs ruraux, des châtelains, dépendant des Évêques du Puy. Leurs nombreux titres de seigneurs et coseigneurs (correspondant à des terres) indiquent une implantation territoriale vraisemblablement assez large au départ.
Sachant que le titre de seigneur de FERRANHE est attaché à la possession d’une terre, différentes questions se posent :
- le titre vient-il du nom de la terre, titre reçu avec la prise de possession de celle-ci ou bien la terre, déjà possédée, a-t-elle reçu un nom reflétant une caractéristique (guerrière, administrative, ....) de son propriétaire ?;
- pourquoi ce titre a-t-il prévalu sur les autres titres et possessions des d’ESPALY, prenant une importance telle qu’il a fini, dans certaines lignées, par supplanter le nom de famille originel du porteur ? ;
- où se situait cette possession ? Toute trace semble en avoir disparu dans les cadastres et autres cartes du Velay;
- comment ce nom d'une terre a-t-il pu se retrouver "attaché" à des familles roturières ?
Quant à la signification du nom de cette terre, on est conduit à reprendre quelques unes des hypothèses abordées pour les roturiers, au risque de frôler parfois l’élucubration.
1. La racine latine ferrum.
Si on prête à la famille d’ESPALY un rôle économique notable dans la région (comme nombre de châtelains aux 11e et 12e siècles), avec leur château comme point d'appui pour les défrichements et la mise en valeur des terres, la création et l’utilisation d'équipements collectifs (moulins, fours, forges), on peut observer que le site de Espaly-Saint Marcel réunit beaucoup de conditions favorables (présence de biefs et de moulins sur la rivière Borne, proximité et situation dominante du château notamment).
Philippe RAMONA (communication personnelle) pense que le titre de seigneur de FERRANHE pourrait être liée au travail du fer. Il suggère un rapport avec un moulin et une forge situés près du château d’Espaly-Saint Marcel, ayant fonctionnés dès le haut Moyen Age (la force hydraulique était utilisée pour actionner un marteau pilon). Selon lui, ce site propice à l’installation du moulin, pourrait être localisé avec précision sur l’emplacement d’un moulin à drap ou à papier ayant fonctionné jusqu’à une époque assez récente (moulin de Corbeyre).
Cette proposition est tout a fait défendable, compte tenu de l’essor démographique et du développement des défrichements, avec un emploi de plus en plus fréquent du fer à partir de la fin du 11e siècle, entraînant une importante activité sidérurgique qui a pu se développer à Espaly-Saint Marcel au Bas Moyen Age.
Toutefois, on peut s’interroger sur le caractère unique du surnom/titre de FERRAGNE, les moulins et forges ayant été fort nombreux en Auvergne. En outre, les toponymes correspondant aux lieux d’activité de forges ont des formes assez différentes (comme l'illustre un exemple pris en Suisse Romande ).
Beaucoup moins sérieusement, on peut imaginer que, en qualité de Comarcs, les d’ESPALY avaient le droit de porter une épée en toutes circonstances (Eymar de FERRANHE a pu même en user et en abuser …). Ce qui pourrait expliquer un titre dérivé leur qualité de « FERRAGU », porteur d’un fer (et expliquer le redoublement du R …). Mais ce nom semble fort peu auvergnat…
2. La racine germanique fara.
Précisons tout de suite que cette suggestion repose essentiellement sur la reconstitution historique faite par A. BOUDON-LASHERMES de l’existence de seigneurs de FERAIGNHE dès le début de la féodalité, reconstitution dont la fiabilité a été discutée précédemment.
A. DAUZAT, dans l’introduction de son ouvrage [11], rappelle « qu’au 9e siècle, dans la Gaule du Nord et du Centre, presque tous les noms étaient germaniques ». En fait, les anthroponymes nobles dans l’Auvergne du Haut Moyen Age se révèlent être une réunion de noms les uns d’origine purement romaine, les autres d’origine germanique (franque, wisigothique ou lombarde) [14].
Le LEXIQUE MEDIEVAL du GERHMA (Groupe d’Études et de Recherches sur le Haut Moyen Age), Faculté de Droit et de Science Politique de l’Université de Clermont 1 [15], donne bien les définitions suivantes :
FARA (FÈRE). Famille ou groupe de Germains installés en pays romain en ordre compact et non dispersé.
FARAMANNI. Homme faisant partie de la même fara, par suite de leur lien consanguin.
Si on admet la signification de Comarc (chef des comtes) ou autrement dit de chef des familles nobles (c'est-à-dire de chef des « FARAS » ou « FÈRES »), la famille « Comarc » dominante, habitant ESPALY a pu très logiquement être qualifiée, ou se revendiquer , de « seigneurs des FARAS » devenu « seigneurs des FERRANHE ». A la fin du Haut Moyen Age (10e-11e siècle), avec l’apparition des premiers Capétiens, les Comarcs d’Espaly auraient tout fait pour conserver dans leur titre toute la dimension affective et historique de leur rang (si importante à l’époque …) et rappeler leur prééminence.
Dans cette logique, le titre de seigneurs de FERRANHE et les alias et différents noms de familles nobles qui en dérivent dès le 12e-13e siècle pourrait être simplement un héritage de l’installation des Germains en Auvergne et de l’hégémonie d’une famille héréditaire de chefs.
Cette fragile hypothèse butte sur plusieurs objections :
- Le nom de FERRANHA-FERRANHE ne semble être apparu que vers le 13e-14e siècle (selon les archives retrouvées) ;
- L’histoire de l’Auvergne, telle qu’elle est reconstituée dans l’ouvrage de C. LAURANSON-ROZAS [14], ne mentionne pas les d’ESPALY parmi les grandes familles dans la hiérarchie vellave des années 1000 ;
- Le redoublement du R (FARA devenant FARRA) semble difficile à justifier, même en invoquant les déformations des graphies des noms germaniques (par disparition des différences entre des racines d’origines différentes : FARA et FERRUM).
De cette revue sommaire des origines et significations des noms, il ressort que soit des études historiques plus détaillées, focalisées sur l’époque d’apparition du titre nobiliaire et de l’alias, soit une étude linguistique du nom, sont seules susceptibles d’apporter une réponse.
En particulier, l’étude linguistique pourrait préciser la signification de la terminaison NHE ou GNE (suffixe) accolée à la racine ferrum dans le dialecte auvergnat.