Quelques réflexions en forme de bilan

 

            Ces quelques recherches débouchent sur un premier bilan provisoire.

 

            1. Ancienneté et enracinement du nom.

            Titre ou surnom devenu nom de famille, FERRANHA (forme latine) ou FERRANHE, FERRANHAS, FIERANHAS (forme occitane), formes anciennes retranscrites en français FERAIGHE-FERRAIGNHE-FERRAIGNES (selon les auteurs modernes), devenu FERRAIGNE, puis FERRAGNE de nos jours, ce nom est indiscutablement très ancien (datant du 11e ou du 14e siècle, selon les avis). Il s’est agi d’abord d’un titre seigneurial porté par des « Comarcs » ( ?) et à coup sûr, dès 1335 au moins, par Pierre d’ESPALY et sa famille. Puis ce titre devint surnom (alias) et aussi le nom de famille de plusieurs lignées nobles installées à Saint-Marcel et au Puy-en-Velay et dans sa région. Le titre demeurera au Puy jusqu’au 19e siècle.

             C’est aussi à Bordeaux le nom d’une vieille famille noble, famille qui vécut de la fin du 14e siècle au moins, avec la naissance en 1370 de Pierre de FERRANHAS, jusqu’au 16e siècle.

 

            Deux lignées roturières, portant ce patronyme, présentes dès la 2e moitié du 16e siècle au moins, ont prospéré à une trentaine de km au nord du Puy-en-Velay, formant un petit noyau en pays vellave, à la limite du Puy-de-Dôme.

 

            2. Orthographe du nom

            Elle a logiquement varié au cours des temps en fonction des langues utilisées dans la rédaction des documents (latin, puis occitan jusqu’au 16e siècle et français), mais aussi avec la nature des actes, la qualité des scribes, voire les circonstances de la rédaction ou des signatures :
 

            - dans les documents originaux anciens (XVIe et antérieurs) : FARRANHA, FERRANHA (latin), FERRANHE (auvergnat); FERRANHAS ou FIERANHAS (gascon, Bordeaux) ;

            - dans les registres paroissiaux consultés (à partir du 17e), de nombreuses formes francisées : de FERRAGNIE à FERAIGNE où s’observent les efforts de transcription phonétique, avec le souci de conserver le son « gn » et donc l’introduction fréquente d’un I final (NIE, NY, GNIE);

            - dans les publications savantes récentes (19e-20e siècle), pour les lignées nobles, on observe des transcriptions en français plus ou moins réussies allant de FERRAIGNE à FERRAIGNHE, FERRAIGHNE ;

            - dès la fin du 18e siècle, l’orthographe se fixe sur FERRAGNE (sauf erreur isolée de l’officier d’état civil). Mentionnons ainsi que le décès de François Joseph, le 30 juillet 1884, à Paris (13e arrondissement) est enregistré sous le nom de FERRAIGNE (alors que tous les autres membres de la famille sont nommés FERRAGNE).

            - Dans l’immense majorité des cas, le redoublement du R est la règle. 

 

            3. Similitudes orthographiques et liens éventuels entre nobles et roturiers.

            Même si les époques anciennes pour la comparaison entre les lignées noble et roturières sont légèrement décalées (13e-15e siècles pour les uns, fin 16e-17e pour les autres), portant sur deux langues différentes, les similitudes sont frappantes, particulièrement dans les formes anciennes, avec FERRANHA, FERANHE, FERRANHE, FERRANHAS chez les premiers ; FERAIGNE, FERRAGNIE, FERRANIE, FERRAGNE, puis FERRAIGNE, FERRAINIE chez les seconds .

            Dans les deux lignées roturières, le I final des formes FERAIGNIE ou FERRAIGNIE, persista jusqu’au 18e siècle.

            La forme occitane du nom semble avoir été conservée plus longtemps au Puy (procès d’Eymar de FERRANHE, 1556) tandis que les lignées roturières portent déjà 50 ans plus tard des noms déjà « francisés » tant à Eglisolles qu’à Craponne.

 

            S’il est évident que similitude de nom n’implique pas lien de parenté, ces ressemblances n’en demeurent pas moins troublantes, compte tenu de la rareté du nom et de la répartition géographique particulièrement restreinte des porteurs. Les supputations sur un possible lien sont d’autant plus faciles qu’elles sont gratuites, faute de toute preuve.

 

            Les possibles processus envisageables d’un passage du nom noble à des familles roturières sont multiples :
        - retour à la roture d’une (ou plusieurs) branche noble cadette ;
        - bannissement d’un homme pour crime ou par vengeance (statut de faïdit)[1], voire déplacement de population lors de conflits (guerres de religion) ; usurpation de nom … .

            Ce dernier processus d’ « emprunt » du nom noble par une famille roturière paraît cependant peu vraisemblable, compte tenu du symbolisme attaché au nom et de la vigilance des familles. De même, les raisons d’une hypothétique divergence sociale, d’un rejet à partir de la lignée noble, conduisant à l’apparition des lignées roturières, durent être sérieuses[2], mais restent à démontrer.

            Si tel était cependant le cas, on peut supposer, étant donné les niveaux sociaux assez différents de chacune des deux lignées roturières (Craponne et Églisolles), que cet éventuel retour à la roture d’une branche noble venant du Puy ou de sa région a commencé à Craponne-sur-Arzon, puis qu’un ou plusieurs individus ont migré de Craponne vers Le Breuil d’Églisolles.

 

            Mais une explication plus simple peut être trouvée dans les droits de villenage.
        En effet, selon le droit féodal, un seigneur pouvait vendre ses paysans (serfs) à un autre seigneur. Dans cette hypothèse, si le noble d’ESPALY, seigneur de FERRANHE a vendu au seigneur de CHALANCON (seigneur de Craponne et d'Eglisolles) quelques uns de ses « villains » pour assurer un repeuplement de ses terres , il est probable que ceux-ci ont été longtemps, par commodité, désignés par le nom de leur terroir d’origine, puis que ce surnom qui leur est resté.
        On pourra observer, sans malice bien sûr, que ces "villains" envoyés au Breuil d'Eglisolles (mot signifiant réserve de gibier), lieu particulièrement ingrat, que ces vilains donc ne devaient pas être parmi les plus futés ... ;o}). A contrario, ceux de Craponne devaient être plus éveillés.... Mais tout ceci n'est que pure méchanceté ....

 

            4. Confinement et méconnaissance réciproque (?) des lignées roturières.

            Si le caractère exclusivement auvergnat (vellave) de l’implantation des FERRAIGNE-FERRAGNE roturiers est remarquable, leur isolement réciproque mérite également d’être souligné. Séparés des lignées nobles, à une trentaine de Km seulement au nord du Puy-en-Velay, formant deux petites lignées repliées dans leur paroisse de Craponne-sur-Arzon (43) et d’Églisolles (63), elles sont restées toutes proches l’une de l’autre, mais sans jamais avoir de liens (parrainage par exemple), selon toutes les archives que nous avons pu consulter. Ségrégation héritée d'une lointaine histoire ... ;o})

            Cette méconnaissance réciproque depuis le 17e siècle (?) de deux lignées, pourtant extrêmement proches géographiquement, a duré jusqu’à une époque toute récente.

 

            5. L’étymologie du titre/nom.

            Elle est loin d’être établie avec certitude pour l’instant et reste à rechercher, sans doute dans l’histoire ancienne du pays vellave et plus précisément du Puy-en-Velay.

            Le titre seigneurial, compte tenu de son ancienneté (début du Bas Moyen Age), de son lien supposé avec une position dans la hiérarchie noble et une possible étymologie germanique, pourrait traduire des fonctions de chef et remonter à l’installation des Francs en Auvergne. Cela tient plutôt de l'élucubration...
            En fait et plus prosaïquement, l’origine de ce surnom, devenu un titre ajouté au nom d’une famille noble, est lié à la possession d'une terre, laquelle comportait une activité liée au travail du fer (un complexe moulin/forge installé appartenant à une châtellenie ??).

            En ce qui concerne les lignées roturières, il ne semble pas que le patronyme puisse se ranger dans l’une des catégories classiques d’origine des noms de famille (nom d’un lieu, nom d’un métier ou d’une fonction, surnom en relation avec une singularité physique ou morale, etc. …).

 

                                              

 


 

[1] faïdit ou faydit : proscrit pour vengeance ; itinérant.
Les familles portant ce patronyme sont assez nombreuses dans la région et notamment au Breuil d’Eglisolles. Celui-ci, avec son cadre géographique rude déjà signalé, a pu être, de longue date, un lieu de bannissement ou d’exil.

[2] « La noblesse est avant tout affaire d’ancêtres, lointains et bien établis… De tous les noms qu’avaient portés les ancêtres, furent retenus de préférence ceux qui rappelaient à la mémoire les racines les plus prestigieuses de l’ascendance ou ceux qui manifestaient un apparentement avec les plus glorieux lignages du pays »
        Georges DUBY, historien du Moyen Age.

 

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