Eugène FERRAGNE 1896-1983 |
Avoir 18 ans et 7 jours le dimanche 2 août 1914, 1er jour de la mobilisation générale en France, alors que sonne le tocsin à l'église du village, fut certainement un mauvais souvenir. Eugène FERRAGNE, jeune apprenti boulanger, issu d'un milieu social paysan extrêmement modeste, allait quitter sa Bresse natale pour découvrir l'enfer. Lui qui ne s'était guère éloigné de son village (Dijon, à une quarantaine de km de Frontenard (71), avait été le point distal de son monde extérieur) allait découvrir et parcourir pendant plus de 4 ans les grandes plaines du nord de la France.
Je l'ai
rarement interrogé sur ses campagnes de guerre de simple poilu (par
pudeur ?... , par indifférence? ...) et je n'ai pas recueillis les quelques
relations qu'il m'en a faites. Je le
regrette maintenant. Sans doute à l'époque, avions-nous l'un et l'autre,
d'autres soucis.
Je sais qu'il
a raconté beaucoup de choses à ses petits enfants, encore en bas age. Mais tout
s'est perdu, dilué dans le fil du temps. Restaient des documents variés (photos,
décorations, livres des régiments auxquels il appartint). Les événements
tragiques d'une autre guerre les ont emportés pour la plupart. Ne restent que
quelques traces qui sont présentées ici.
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(document aimablement communiqué par Julia LECAT)
La plus ancienne
photo connue d'Eugène FERRAGNE.
Cette scène de vendanges fut posée et prise probablement à la demande d'un
éditeur de cartes postales, pour une série du genre "Scènes de la vie
campagnarde en Bresse". Elles étaient fort prisées des citadins des
grandes villes au début du 20e siècle....
Eugène (3e
à partir de la gauche, pas encore de moustache, portant une hotte de vendangeur et se faisant verser à
boire ...) montre un visage d'adolescent, mais finalement fort peu différent de celui du document de guerre ci-dessous. Cette
photos doit dater de la fin de l'été ou
du début de l'automne 1913 ou 1912 (le petit paysan avait 17 ou 16 ans).
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Sur cette photo, devant un fond de décor de théâtre, le
jeune (pas encore vraiment l'air d'un poilu avec sa discrète moustache), dans la position "repos", porte une capote trop grande
pour lui, sans doute
prêtée par le photographe, mais réglementairement boutonnée jusqu'en haut,
coins relevés. Les bleus devaient bien se tenir ...
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Ici, la pose est naturelle ! Il y a du débraillé et presque
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Maintenant, les traits sont ceux d'un adulte et la lassitude se devine.
Et puis, il y a les traditionnelles photos de groupe....
Essayez d'y trouver le caporal FERRAGNE !
Cette dernière photo, malheureusement de mauvaise qualité,
fleure fortement l'authenticité et la spontanéité.
C'est certainement l'été, il devait faire doux au soleil. Les fusils sont en
faisceau, c'est une halte. Un bidon chauffe (à droite), les gamelles et les quarts sont sortis,
on roule une cigarette.... Le plaisir d'un moment de détente, profitons-en, non ?
Et malgré cela, pas un sourire, pas un seul..., sur les trois douzaines de
visages ... ! Que des mines lugubres !!
Pourtant, ils ne sont pas au front : le tronc à droite est intact; l'arbre au
milieu a conservé
toutes ses feuilles et n'a pas souffert des tirs d'artillerie; mais ces soldats ne sont pas non plus
au repos à l'arrière ....
Observez: les crânes sont fraîchement rasés (les cheveux longs, ça gêne
pour opérer les blessure à la tête); les casques sont nombreux sur les têtes; les
lourdes cartouchières, bien garnies, sont restées à la ceinture. Manifestement, ils sont fatigués,profitent
d'un instant de répit, mais cependant pas spécialement heureux.
Sans doute sont-ils en route, à pied (à l'époque, tous les déplacements de troupes se faisaient à pied)
pour rejoindre le front quelque part. On entend peut-être déjà la canonnade. Ils
connaissent ce bruit sourd ... et savent ce qui les attend.
Alors, voler un court instant de répit, comme ça dont à la sauvette, en toute hâte ? ...
Pas facile, surtout
juste avant de retourner en enfer !
Eugène se trouve debout, à gauche, juste derrière le rang assis.
La der des ders....
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Voilà, la guerre est finie.
Mais Eugène est resté quelques mois encore sous les drapeaux, pour garder les prisonniers allemands chargés de reboucher en toute hâte les trous et entonnoirs d'obus des champs de bataille de la Somme. Car il fallait remettre en état les champs et relancer de toute urgence les cultures.
Le travail se faisait pelles et pioches en main. C'était une tâche extrêmement dangereuse car les outils heurtaient souvent obus non explosés enfouis lors des pilonnages d'artilleries ou munitions non utilisées (elles explosaient sous le choc et tant pis pour le porteur de pelle), ... sans parler des nombreux cadavres de soldats des deux armées, enfouis par les explosions ou enterrés à la hâte pendant les combats et oubliés..... C'était la tâche des vaincus.
Une dernière photo: godillots parfaitement cirés, bandes molletières bien
serrées, Croix de Guerre épinglée sur un uniforme impeccable, une moustache de
légende, la mine altière... Un vrai poilu, maintenant. Et puis, c'était sûr, c'était la der des ders ....
C'était il y a un siècle... ou presque.
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Documents André FERRAGNE